AUTOUR DE L’EXPOSITION « FEMIN ‘ISULA »
A partir de mars 2025
CUMMISSARIATU / COMMISSARIAT
L’exposition Féminin Singulier a été finalisée par l’association Sguardi, qui a confié le commissariat à Christian Buffa.
« Chaque femme recèle un secret : un accent, un geste, un silence. »
Saint-Exupery, grand prince, aurait apprécié l’exposition de l’association Sguardi dédiée aux femmes dans leur intimité. L’intimité physique mais aussi l’intimité réflectrice, celle qui se connecte avec notre âme et nos émotions pour mieux les enlacer, les unir dans la souffrance comme dans la guérison.
La femme est l’avenir de l’homme mais aussi sa proie.
La femme est l’origine du monde mais aussi de l’immonde.
Ici, la violence affleure la beauté, la cruauté la poésie, l’humanité la tyrannie, la fécondité la sècheresse. Ici, les démonstrations féminines sont confidentielles et les confidences démonstratives. La femme, c’est le sang, la force d’âme, la rébellion pour éroder, par le tribut amer du silence et des larmes, un narcissisme patriarcal multiséculaire.
Les quatre artistes invités par l’association Sguardi, ont, au-delà de leur talent connu et reconnu, une sensibilité à fleur de peau. L’attention et la délicatesse du regard, la bienveillance qui confine parfois la complicité, tiennent à distance l’hystérisation de la féminité. Ici, on est dans l’intelligence, la suggestion, l’indulgence, l’amour tout simplement. Ici, la vérité des femmes existe dans les deux mondes, le visible et l’invisible, elle vit sur la pointe des pieds comme une ballerine. Sauf que les corps sont métamorphosés, sublimés même, autant par le désir que par la douleur. Ici, les coups extérieurs n’entament pas la grâce intérieure. Si les murs de l’exposition ont des oreilles, ils n’entendront pas cris mais des chuchotements. Pour les causes les plus nobles, celles qui se conjuguent au « Féminin singulier », rien n’est plus audible qu’un murmure…
Les quatre artistes invités par l’association Sguardi :
Michaël Serfaty est natif de Casablanca. Il est gynécologue-obstétricien et photographe, deux activités réunies dans un même sanctuaire, celui de l’intimité. De nature empathique, il recueille depuis trente ans dans son cabinet les confidences que ses patientes murmurent parfois pour elles-mêmes. Les premières paroles qui l’ont marqué témoignent de la douloureuse beauté intérieure des femmes : « Je me languis enfin d’être seule dans mon corps. » D’autres épanchements de honte et de blessures tues nourriront l’artiste pour qui la vie est une superposition de strates, des tranches de vie heureuses et malheureuses qui révèlent au fil des consultations son âme d’archéologue-photographe. Ses œuvres sont des visages et des objets familiers mêlés à des mots intimes et bouleversants de sens. Michaël Serfaty est la sentinelle iconographique de ce logos féminin.
Le cœur du cœur de l’intime bat encore derrière l’objectif de Marianna Ronsenstiehl. Entre allégorie et second degré, ses photographies évoquent le sang périodique des femmes. Dans les « règles » de l’art. Familière des plateaux de tournage, elle a conjugué talent, bienveillance et virtuosité pour réaliser des portraits d’icônes de la féminité, Isabelle Adjani, Carla Bruni, Mylène Farmer, Amélie Nothomb… Cette fois, elle resserre sa focale et son regard doux et apaisant sur le sang menstruel, jadis sacré lorsque les femmes des civilisations primitives s’en servaient pour fertiliser la terre et désormais mué en sujet tabou avec la marginalisation patriarcale des mystères féminins. Sa perception chimérique se révèle sous la forme de limaces, symboles de résilience dans d’antiques cultures amérindiennes, d’une rose rouge posée sur un pubis, d’une armée de soldats de plomb sous bannière anglaise. Entre l’art et la femme, il existe des liens de sang. Marianne Ronsenstiehl brise avec élégance ceux de l’inhibition. Une victoire sur l’interdit. Mais une victoire sanglante.
La détresse silencieuse, Lizzie Sadin l’a côtoyée de très près en France (mineurs isolés, immigrés clandestins, transsexuels) et ailleurs (infanticides en Inde, opprimés au Kosovo, traite des femmes au Népal). Éducatrice socio-éducative, hyperdouée pour la photographie dont elle a fait son métier sans jamais perdre de vue – au contraire – sa vocation sociale, elle a travaillé pour la mythique agence Rapho, lancée par le non moins légendaire Robert Doisneau. L’exposition porte une lumière crue et incandescente sur les violences conjugales. Là où elles se cachent, dans une cuisine étriquée sous les prunelles hagardes des enfants, dans une salle austère d’un commissariat de police, le cabinet incolore mais pas indolore d’un urgentiste hospitalier. Lizzie Sadin ne détourne jamais les yeux. Elle témoigne. Des femmes recroquevillées sur leur douleur physique et morale, les traits déformés par l’angoisse, l’impuissance, la honte, la culpabilité parfois. Des visages qui sont le miroir de l’égocentrisme et de la perversité des hommes qu’elles ont aimés et qu’elles aiment peut-être encore. Des images coups de poing.
Un seul coup peut séparer la violence de la mort. Photographe suisse qui a figé en noir et blanc les féminicides avec cran et humanité, Zoé Aubry a décidé de déconstruire le phénomène systémique à partir d’un cas unique : le 9 février 2020, Ingrid, jeune Mexicaine de 25 ans, est tuée et démembrée par son compagnon. Avec la complicité vénale de la police, Internet et les tabloïds publient des images sordides, innommables du crime. En réplique à ce voyeurisme abject, des anonymes du monde entier postent sur les réseaux sociaux des représentions allégoriques de la victime, couchers de soleil, champs de fleurs, palmiers bercés par un vent céruléen, lacs limpides de sérénité. D’Ingrid, on ne voit que la beauté de l’âme. Le Mal devient consubstantiel du Beau comme dans les poèmes de Baudelaire. Telle une alchimiste qui transforme le plomb de la cruauté en or de l’onirisme, Zoé Aubry réanime un sentiment en voie d’extinction : la grandeur d’âme de l’Humanité.
Les recherches d’Agnès Accorsi s’inscrivent dans la continuité de la promenade sauvage et onirique qu’elle trace dans le maquis insulaire. Entre protection, défense attaque, enfance et jeu, elle filme, sculpte, dessine, crée des hybridations animales, végétales témoins de l’acte créateur dans la sève et le sang. L’expérience est directe, spontanée, corporelle. Le sang devient ici l’élément primordial indispensable à l’existence même du monde. Le travail d’Agnès rejoint ici certains mythes grecs où le sang est universellement considéré comme le véhicule de la vie. Il donne naissance aux plantes et même aux métaux. On compare, en effet, de façon récurrente, la sève des arbres à du sang: c’est, avec l’eau, le liquide vital, celui de la naissance et de la mort.
Les mains caressent, pressent les sucs et le sang dans une étreinte subtilement dansante qui chante la femme à la lisière de la vie et la mort. Orné de sa parure pourpre , noire ou bleu , chaque doigt joue sa note et égrappe minutieusement chaque fruit. Dans ce rituel, les mains sanglantes ou sanguinaires projette l’être dans un temps immémorial et se métamorphosent en une créature anthropomorphique qui se nourrit au rythme de ses désirs.
Association Sguardi